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  • Déconstruire le mythe d’une préhistoire sauvage et belliqueuse

    ACTUALITÉS

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    Source : http://www.monde-diplomatique.fr/2015/07/PATOU_MATHIS/53204

    Déconstruire le mythe d’une préhistoire sauvage et belliqueuse

    * Non, les hommes n’ont pas toujours fait la guerre

    La violence humaine est-elle innée ou induite par le contexte ? Les recherches anthropologiques et archéologiques permettent aujourd’hui de répondre un peu mieux à cette question qui divisa les plus grands philosophes.

    La guerre ne semble apparaître qu’avec la naissance de l’économie de production et le bouleversement des structures sociales du néolithique, il y a environ dix mille ans.

    Par Marylène Patou-Mathis
    Directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), département préhistoire du Muséum national d’histoire naturelle (Paris).

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    * Non, les hommes n’ont pas toujours fait la guerre !

    * Sur la question de la violence chez les humains, deux conceptions radicalement opposées s’affrontent. Le philosophe anglais du XVIIe siècle Thomas Hobbes pensait que la «guerre de tous contre tous» existait depuis l’aube des temps (Léviathan, 1651). Pour Jean-Jacques Rousseau, l’homme sauvage était sujet à peu de passions et a été entraîné dans "le plus horrible état de guerre" par la "société naissante" - (Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, 1755).

    * L’image de l’homme préhistorique violent et guerrier résulte d’une construction savante élaborée par les anthropologues évolutionnistes et les préhistoriens du XIXe siècle et du début du XXe siècle. Elle a été gravée dans les esprits à la faveur du présupposé selon lequel l’humanité aurait connu une évolution progressive et unilinéaire (1). Dès la reconnaissance des hommes préhistoriques, en 1863, on a rapproché leur physique et leurs comportements de ceux des grands singes, gorilles et chimpanzés. Pour certains savants, cet «homme tertiaire» représentait le chaînon manquant entre la "race d’homme inférieur" et le singe. Puis la théorie dite "des migrations", apparue dans les années 1880, a soutenu que la succession des cultures préhistoriques résultait du remplacement de populations installées sur un territoire par d’autres ; elle a enraciné la conviction que la guerre de conquête avait toujours existé.

    * Sans avoir procédé à une analyse précise de leurs usages, les premiers préhistoriens donnent aux objets taillés des noms à connotation guerrière : massue, casse-tête, coup-de-poing, poignard... Les expositions universelles et les premiers musées reproduisent ce parti pris. Ainsi, le Musée d’artillerie (devenu Musée de l’armée), installé aux Invalides en 1871, propose des collections d’armes pré- et protohistoriques, antiques, historiques et ethnographiques, et, pour chaque période, des mannequins grandeur nature armés, en costume de guerre. Cette présentation instille dans la tête du visiteur l’idée d’une continuité culturelle de la guerre depuis la période la plus reculée de l’humanité. Pourtant, d’après les études actuelles, ces armes étaient utilisées pour tuer des animaux, et non des humains.

    BIENVEILLANCE ENVERS LES INFIRMES

    * Davantage encore que les travaux scientifiques, les œuvres d’artistes et d’écrivains ont construit l’image des préhistoriques et de leur mode de vie : les sculptures d’Emmanuel Frémiet ou de Louis Mascré, les peintures de Paul Jamin ou de Fernand Cormon ; les Etudes antédiluviennes de Pierre Boitard ; et bien sûr La Guerre du feu de J.-H. Rosny aîné, paru en 1911. Jusqu'à la fin du XIXe siècle, cette image demeure, à de rares exceptions près, celle d’un singe anthropomorphe, souvent une sorte de gorille, espèce considérée alors comme particulièrement sauvage et lubrique. On le représente maniant des armes primitives comme le gourdin ou le coup-de-poing, pratiquant l’esclavage et s’adonnant au meurtre, voire au cannibalisme. Cette vision se retrouve dans la plupart des romans qui fleurissent à partir de 1880.

    * Ces fictions installent dans l’imaginaire populaire un archétype du préhistorique : un héros masculin, viril, confronté à des animaux de grande taille, comme le mammouth, ou féroces, tel le tigre à dents de sabre. Armé d’une massue et vêtu d’une peau de bête, il vit dans une caverne où il taille des outils en pierre. Révolté, instinctif et violent, notre ancêtre se bat pour conquérir le feu, une femme, ou pour venger un être cher. Les conflits sont omniprésents, comme si la guerre était inexorable, en particulier entre des «races» différentes, dont les types sont souvent puisés dans les récits des explorateurs (2).

    * Au début du XXe siècle, s’appuyant sur le comportement des grands singes, certains sociobiologistes, rejoints par des anthropologues et des préhistoriens, soutiennent la thèse selon laquelle nous descendrions de "singes tueurs". L’Homo sapiens, animal brutal car prédateur, se serait répandu hors d’Afrique à travers l’Eurasie en éliminant les autres grands singes bipèdes. Cette hypothèse, avancée en 1925 par le préhistorien Raymond Dart, fut popularisée en 1961 par Robert Ardrey dans Les Enfants de Caïn (Stock). Chasseurs, donc prédateurs, les préhistoriques auraient été agressifs par nature, et la guerre n’aurait été qu’une chasse à l’homme.

    * La mise à mort de l’animal peut apparaître comme l’expression d’une violence humaine intrinsèque. Pourtant, plusieurs études ethnographiques montrent que, dans la majorité des cas, elle exclut toute agressivité de la part du chasseur (3) ; au contraire, elle socialise cette violence nécessaire sur le mode de l’échange cosmologique entre l’homme et la nature (4). En outre, elle contribuerait à la constitution d’un lien social à travers le partage de la proie. Aujourd’hui, l’hypothèse selon laquelle l’homme, parce que prédateur, descendrait de «singes tueurs» est abandonnée, de même que celle de la «horde primitive» proposée par Sigmund Freud en 1912.

    * Défenseur de la théorie de Jean-Baptiste de Lamarck sur l’hérédité des caractères acquis, le père de la psychanalyse soutenait que, en des temps très anciens, les humains étaient organisés en une horde primitive dominée par un grand mâle tyrannique. Celui-ci s’octroyait toutes les femmes, obligeant les fils à s’en procurer à l’extérieur par le rapt. Puis, un jour, «les frères chassés se sont réunis, ont tué et mangé le père, ce qui a mis fin à l’existence de la horde paternelle», écrit-il dans Totem et Tabou, en 1912. Freud développe également les notions de «primitif intérieur» et de «pulsion sauvage» ; les conflits internes représenteraient l’équivalent de luttes extérieures qui n’auraient jamais cessé.

    * Cette «sauvagerie intérieure» ne serait-elle pas en réalité, comme le suggère l’épistémologue et anthropologue Raymond Corbey (5), une «construction mentale imaginaire influencée par les idéologies du XIXe siècle comme le racisme ou l’eugénisme» ? Plusieurs études en neurosciences affirment que le comportement violent n’est pas génétiquement déterminé (6). Même s’il est conditionné par certaines structures cognitives, le milieu familial et le contexte socio-culturel jouent un rôle important dans sa genèse (7). En outre, de nombreux travaux, tant en sociologie ou en neurosciences qu’en préhistoire, mettent en évidence le fait que l’être humain serait naturellement empathique. C’est l’empathie, voire l’altruisme, qui aurait été le catalyseur de l’humanisation (8).

    * En observant les anomalies ou les traumatismes inscrits sur les ossements de plusieurs fossiles humains du paléolithique, on constate qu’un handicapé physique ou mental, même de naissance, n’était pas éliminé. Les restes, vieux de 420 000 à 300 000 ans, d’un enfant Homo heidelbergensis ayant souffert de synostose crânienne précoce ont été retrouvés dans la Sima de los Huesos — la «grotte des os» — sur le site d’Atapuerca, en Espagne. Cette pathologie entraîne un développement anormal du cerveau, ainsi qu’une déformation du crâne. Atteint dès sa naissance d’un retard mental handicapant, cet enfant a survécu jusqu’à l’âge de 8 ans.

    * Dans la majorité des cas de traumatisme, les blessures sont cicatrisées, ce qui démontre que ces hommes prenaient soin de leurs malades ou de leurs blessés et que, malgré leur handicap, ceux-ci conservaient leur place au sein de la communauté. Autre exemple : l’examen du bassin et de la colonne vertébrale d’un Homo heidelbergensis vieux d’environ 500 000 ans, découvert sur le site d’Atapuerca, a montré qu’il souffrait d’une excroissance osseuse vertébrale et d’un glissement de vertèbres. Cet homme, mesurant un mètre soixante-quinze et pesant au moins cent kilos, était donc bossu et devait particulièrement souffrir lors de ses déplacements. Mais il a survécu jusqu'aux alentours de 45 ans grâce aux soins que lui ont prodigués les siens.

    * Si, aujourd’hui encore, dans l’imaginaire populaire, les hommes préhistoriques apparaissent comme des êtres en perpétuel conflit, la réalité archéologique autorise à porter sur eux un tout autre regard. L’analyse des impacts de projectiles sur les os humains, des blessures, de l’état de préservation des squelettes et du contexte dans lequel ils ont été découverts permet de caractériser un acte violent. Actuellement, les plus anciennes traces de violence ont été observées dans un contexte particulier, celui du cannibalisme. Plusieurs preuves archéologiques attestent cette pratique, durant le paléolithique, mais peu témoignent de la mise à mort des individus consommés. En outre, il est impossible de différencier les groupes d’appartenance des «mangeurs» et des «mangés».

    * Quant aux autres marques de violence, l’examen de plusieurs centaines d’ossements humains datant de plus de 12.000 ans a permis de constater leur extrême rareté (9). En outre, elles sont souvent difficiles à interpréter, car elles peuvent tout aussi bien résulter d’un coup porté intentionnellement que d’un accident, en particulier de chasse. Le plus ancien témoignage de violence hors contexte cannibalique a été découvert sur le crâne d’un Homo sapiens archaïque trouvé dans une grotte près de Maba, en Chine méridionale, et vieux de 200 000 à 150.000 ans. La fracture observée au niveau du temporal droit résulterait d’un coup porté à l’aide d’un objet contondant en pierre. Plus de 100.000 ans plus tard, dans la grotte de Shanidar, en Irak, un crâne de néandertalien âgé de 30 ou 40 ans (Shanidar I) présente deux écrasements : l’un au niveau de l’écaille frontale droite et l’autre au niveau de l’orbite gauche. Cependant, comme le fait observer le fouilleur, ces marques peuvent avoir été produites par l’éboulement du plafond qui a eu lieu après l’ensevelissement du corps.

    * En Europe, le frontal d’une néandertalienne adulte, exhumé dans un banc de graviers de la rivière Vah, près de Sala, en Slovaquie, porte la marque d’un objet tranchant ayant entraîné une blessure non mortelle. A Saint-Césaire, en Charente-Maritime, une jeune femme néandertalienne a elle aussi reçu un coup sur la partie droite avant de son crâne. Porté avec un instrument très aiguisé, il aurait entraîné une forte hémorragie et une commotion cérébrale, voire un coma. Par ailleurs, des blessures provoquées par l’impact d’un objet pointu en bois ou en pierre ont été observées sur quelques squelettes (vieux de 60.000 à 45.000 ans) de néandertaliens, à Shanidar, et d’hommes modernes, à Skhul, en Israël.

    MEURTRES OU ACCIDENTS DE CHASSE ?

    * Ces blessures résultent-elles d’un accident ou d’un acte de violence lors d’un conflit entre personnes, entre communautés ou entre groupes ? Pour ces périodes anciennes, la distinction est difficile à faire. Cependant, dans plusieurs cas, les blessures, notamment celles dues à un choc ou à un coup porté à la tête, sont cicatrisées. Ces personnes n’ont pas été achevées, ce qui laisse penser qu’elles portent plutôt les séquelles d’un accident ou d’un combat arrêté avant la mort, suggérant davantage une querelle interpersonnelle. Seuls l’homme de Skhul et, peut-être, le garçon de la «grotte des enfants» aux Balzi Rossi, en Italie, semblent avoir subi des violences. Mais de la part de qui ? Un membre de leur communauté ou un individu extérieur à leur groupe ? La question demeure actuellement sans réponse.

    * Les néandertaliens de Shanidar, d’après l’étude menée par le paléoanthropologue américain Erik Trinkaus (10), auraient été victimes d’accidents de chasse. La distribution des lésions — situées principalement à la tête et aux bras — de plusieurs d’entre eux correspond à celle observée sur les os de professionnels du rodéo et révèle des traumatismes résultant de chutes violentes sur le sol. Les néandertaliens étaient des chasseurs de grands mammifères ; leurs armes nécessitaient l’approche, voire le corps-à-corps avec l’animal, et il est donc fort probable que des accidents se produisaient. En outre, lorsque les chasseurs tiraient le gibier, les projectiles pouvaient rater leur cible et frapper un de leurs compagnons.

    * Quelques rares figurations du paléolithique supérieur montrent des humains transpercés de traits, sur les parois des grottes de Cougnac et du Pech Merle, dans le Lot, et sur le galet de la grotte Paglicci, en Italie. Ces représentations sont souvent appelées "homme blessé" ou "homme fléché", car, pour certains préhistoriens, ces signes symbolisent des pointes de projectile. Mais, là encore, la représentation d’accidents de chasse ne peut être exclue, ni celle de sacrifices symboliques lors d’une cérémonie. L’art paléolithique ne compte aucune scène de guerre, même s’il convient de préciser que les scènes narratives y sont extrêmement rares.

    LE TOURNANT DE LA SÉDENTARISATION

    * Pour certains préhistoriens, le Site 117, situé sur la rive droite du Nil, à la frontière nord du Soudan en Egypte (entre 14.340 et 13.140 ans), apporterait la preuve la plus convaincante de l’existence de conflits meurtriers entre deux communautés à la fin du paléolithique. D’après les fouilles, cinquante-neuf corps de femmes, d’hommes et d’enfants de tous âges ont été déposés, seuls ou par deux, trois, quatre ou cinq, dans des fosses recouvertes de dalles. Selon James Anderson (11), près de la moitié des sujets inhumés auraient connu une mort violente, soit à la suite de coups portés à la tête, soit après avoir eu le thorax, le dos ou l’abdomen transpercé par des pointes de lance ou des projectiles en pierre, dont certains ont été retrouvés encore fichés dans les corps. En outre, d’après la trajectoire des projectiles, on a continué à tirer sur trois des hommes alors qu’ils étaient probablement déjà à terre. Que s’est-il passé ?

    * A la fin du paléolithique, le nord du Soudan connaît une aridification du climat. Enclavé dans la vallée fertile du Nil et cerné par des milieux naturels hostiles, ce site aurait suscité la convoitise de groupes vivant à l’intérieur des terres (12) ; à moins que, avec l’augmentation de la densité de la population, la diminution des ressources disponibles n’ait mené à une compétition interne pour leur contrôle. Rien dans le matériel archéologique recueilli n’indique une origine allochtone des projectiles. Par ailleurs, les cinquante-neuf squelettes correspondent-ils à un même événement ou à plusieurs ? Quoi qu’il en soit, ce site apparaît comme étant le premier cas avéré de violence collective. Intra- ou inter-communautaire ? Le débat reste ouvert.

    * D’après les vestiges archéologiques, on peut raisonnablement penser qu’il n’y a pas eu durant le paléolithique de guerre au sens strict, ce qui peut s’expliquer par plusieurs facteurs. Une faible démographie, d’abord : en Europe, on estime à quelques milliers d’individus la population durant le paléolithique supérieur. Les communautés étant dispersées sur de vastes territoires, la probabilité qu’elles se soient affrontées est faible, d’autant qu’une bonne entente entre ces petits groupes d’au maximum cinquante personnes était indispensable pour assurer la reproduction.

    * La sédentarisation s’accélérera au cours du néolithique, avec la domestication des plantes et des animaux. Il en résultera une croissance localisée de la population et une crise démographique. Celle-ci a pu être régulée par des conflits, comme l’indique la présence dans plusieurs nécropoles — à Schletz, en Autriche, et à Thalheim, en Allemagne — de blessures mortelles sur des squelettes d’hommes, de femmes et d’enfants.

    * Le paléolithique disposait par ailleurs d’un territoire de subsistance suffisamment riche et diversifié. Certains anthropologues soutiennent que les sociétés préhistoriques n’auraient connu qu’une "économie de survie" ; mais ce postulat ne repose sur aucune réalité archéologique. De nombreux travaux attestent le contraire, au point qu’on a pu voir en elles non seulement des sociétés autosuffisantes, mais des sociétés d’abondance. Lorsque les territoires sont riches en ressources, les communautés n’entrent pas en compétition, car elles peuvent moduler leurs comportements de subsistance par l’exploitation de divers types d’aliments. Par ailleurs, aucune preuve archéologique n’étaye l’hypothèse de guerres territoriales entre migrants et autochtones.

    * Là encore, au cours du néolithique, le besoin de nouvelles terres à cultiver entraînera des conflits entre les premières communautés d’agropasteurs, et peut-être entre elles et les derniers chasseurs-cueilleurs, en particulier lors de l’arrivée en Europe de nouveaux migrants, entre 5.200 et 4.400 ans av. J.-C. (à Herxheim, en Allemagne, par exemple). Une crise profonde semble marquer cette période, comme en témoigne aussi le nombre plus élevé de cas de sacrifices humains et de cannibalisme.

    * Alors que les sédentaires peuvent accumuler des biens matériels, les chasseurs-cueilleurs nomades disposent d’une richesse nécessairement limitée, ce qui réduit également les risques de conflit. De plus, l’économie de prédation, à la différence de l’économie de production, qui apparaît avec la domestication des plantes et des animaux, ne génère pas de surplus. L’histoire a montré que les denrées stockées et les biens pouvaient susciter des convoitises et provoquer des luttes internes ; butin potentiel, ils risquent d’entraîner des rivalités entre communautés et de mener à des conflits. C’est à la faveur du développement de la métallurgie et du commerce à longue distance de biens de prestige, au cours de l’âge du bronze (IIe millénaire avant J.-C.), que le guerrier et l’armement commencent à faire l’objet d’un véritable culte et que la guerre s’institutionnalise.

    * Par ailleurs, les conflits sont souvent déclenchés par les détenteurs de pouvoirs ou de biens — ce que l’on appelle "l’élite", qui souvent s’appuie sur la caste des guerriers. Or, si une quelconque inégalité socio-économique a existé au paléolithique, les preuves font défaut. Tout indique qu’il s’agissait de sociétés égalitaires et peu hiérarchisées. Ce n’est qu’au cours de la mutation socio-économique du néolithique qu’émergent en Europe les figures du chef et du guerrier, avec un traitement différencié des individus dans les sépultures et dans l’art. L’utilisation de l’arc se généralise ; pour certains préhistoriens, cette arme utilisée pour la chasse aurait joué un rôle dans l’augmentation des conflits, comme semblent l’attester les peintures rupestres du Levant espagnol.

    * Le développement de l’agriculture et de l’élevage est probablement à l’origine de la division sociale du travail et de l’apparition d’une élite, avec ses intérêts et ses rivalités. En outre, l’exploitation de champs de plus en plus vastes nécessitant un grand nombre de bras, il devient indispensable de trouver de la main-d’œuvre. On constate au cours du néolithique moyen l’apparition simultanée de la caste des guerriers et de celle des esclaves — pour la plupart, probablement, des prisonniers de guerre.

    * Dernier élément pacificateur au paléolithique : l’absence de sacrifices humains à une divinité. Pour certains archéologues, le culte de la déesse-mère, ou grande déesse, pratiqué au néolithique, aurait succédé à celui d’une déesse primordiale représentée par les "vénus", ces statuettes aux caractères sexuels souvent accentués découvertes sur des sites européens du paléolithique supérieur. Là encore, aucune preuve archéologique n’atteste la pratique de sacrifices d’êtres humains, ni d’ailleurs d’animaux sauvages, à une quelconque divinité. Ceux-ci semblent apparaître durant le néolithique moyen (entre 5.300 et 4.500 av. J.-C.) et être en lien avec des rites funéraires, propitiatoires ou de fondation (à Hârsova en Roumanie, à La Fare-les-Oliviers en France). En outre, plusieurs sites européens datant de cette période témoignent de sacrifices d’esclaves lors de la mort d’une personnalité (Moulins-sur-Céphons, Le Gournier et Didenheim en France). A la fin du néolithique, le culte de la déesse-mère cède progressivement la place à celui de divinités masculines, souvent représentées armées d’un poignard.

    * Ainsi, la "sauvagerie" des préhistoriques ne serait qu’un mythe forgé au cours de la seconde moitié du XIXe siècle pour renforcer le concept de "civilisation" et le discours sur les progrès accomplis depuis les origines. A la vision misérabiliste des "aubes cruelles" succède aujourd’hui — en particulier avec le développement du relativisme culturel — celle, tout aussi mythique, d’un "âge d’or". La réalité de la vie de nos ancêtres se situe probablement quelque part entre les deux. Comme le montrent les données archéologiques, la compassion et l’entraide, ainsi que la coopération et la solidarité, plus que la compétition et l’agressivité, ont probablement été des facteurs-clés dans la réussite évolutive de notre espèce.

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    (1) Cf. Le Sauvage et le Préhistorique, miroir de l’homme occidental, Odile Jacob, Paris, 2011.

    (2) Cf. Préhistoire de la violence et de la guerre, Odile Jacob, 2013.

    (3) Pierre Clastres, Archéologie de la violence. La guerre dans les sociétés primitives, Editions de l’Aube, La Tour-d’Aigues, 2013 (1re éd. : 1977).

    (4) Philippe Descola, «Les natures sont dans la culture», dans «Anthropologie : nouveaux terrains, nouveaux objets», Sciences humaines, hors-série, n° 23, Paris, décembre 1998 - janvier 1999.

    (5) Raymond Corbey, «Freud et le sauvage», dans Claude Blanckaert (sous la dir. de), «Des sciences contre l’homme, II. Au nom du bien», Autrement, n°9, Paris, mars 1993.

    (6) Axel Kahn, L’Homme, ce roseau pensant... Essai sur les racines de la nature humaine, NiL, Paris, 2007.

    (7) Pierre Karli, Les Racines de la violence. Réflexions d’un neurobiologiste, Odile Jacob, 2002.

    (8) Penny Spikins, Holly Rutherford et Andy Needham, «From hominity to humanity : Compassion from the earliest archaic to modern humans» (PDF), Time & Mind, vol. 3, no3, Oxford, novembre 2010.

    (9) Ces marques de violence n’ont ainsi été observées que sur cinq des deux cent neuf individus découverts sur des sites du sud-ouest de la France. Cf. Mary Ursula Brennan, «Health and disease in the Middle and Upper Paleolithic of southwestern France : A bioarcheological study», thèse de doctorat, université de New York, 1991.

    (10) Erik Trinkaus, The Shanidar Neandertals, Academic Press, New York, 1983.

    (11) J. E. Anderson, «Late Paleolithic skeletal remains from Nubia», dans Fred Wendorf (sous la dir. de), The Prehistory of Nubia, Southern Methodist University Press, Dallas, 1965.

    (12) Jean Guilaine et Jean Zammit, Le Sentier de la guerre. Visages de la violence préhistorique, Seuil, Paris, 2001.

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  • IRENE GROSJEAN OU LA VIE EN ABONDANCE

    La spiritualité, quelle que soit sa façon d'être vécue, passe aussi par le corps, par ce qui lui est fournit. L'Homme est corps, esprit, âme. Beaucoup de textes concernent l'esprit et l'âme, mais le fonctionnement du corps


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  • Bernard Ronot : Retour à une agriculture vivante et naturelle

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    * Bernard Ronot, céréalier en Côte d'Or, fondateur de l'association Graines de Noé (voir ici), prône une agriculture biologique, libérée des engrais et des produits chimiques de synthèse (insecticides, herbicides, fongicides) qui détruisent l'environnement, polluent les nappes phréatiques, tuent la biodiversité, rendent malades les agriculteurs qui les utilisent.

    * Bernard Ronot, fondateur de l'association Graines de Noé, est un paysan céréalier à la retraite. Il nous raconte comment, à l'age de 20 ans, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, il a commencé à cultiver son blé à l'aide du nitrate : une véritable révolution agricole, une révolution « verte ».

    * Pendant 30 ans, il est resté à "la pointe du progrès", utilisant toujours plus de nitrates, de désherbants, de fongicides, de pesticides et d'insecticides.

    * À 55 ans, il décide de reconvertir sa ferme et de se libérer des engrais et des produits chimiques pour cultiver son blé. Il nous parle de rotation des cultures, de la vie des sols et nous livre son message pour une agriculture de demain plus respectueuse de l'environnement : une autre agriculture.

    https://www.youtube.com/watch?v=a-Yb_yrGsU0

    Bernard Ronot - "J'ai décidé de m'engager dans les Forces de Vie de la semence parce que la semence est la transmission de la Vie."

    https://www.youtube.com/watch?time_continue=307&v=-_zSkVrkuIM

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    LIENS

    Association Graines de Noé

    Graine de Noé sur Youtube

    On passe à l'acte.fr

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  • Cologne : Analyse de la sociologue Algérienne Marieme Helie Lucas

    ACTUALITÉS

    https://www.youtube.com/watch?time_continue=1&v=z6gonnEEKjA

    Source : http://www.telerama.fr/idees/apres-cologne-nous-voyons-en-europe-les-signes-precurseurs-de-la-montee-de-l-extreme-droite-integriste,137685.php

    * Après Cologne, la sociologue algérienne Marieme Helie Lucas prévient : "les agressions contre les femmes traduisent la montée d'un intégrisme musulman, qui n'est rien d'autre qu'une nouvelle forme d'extrême droite".

    * Cologne, 31 décembre : des centaines de femmes encerclées, agressées, violées parfois, par des hommes en bandes, immigrés pour la plupart. Des scènes semblables ont eu lieu en Suède, en Autriche, ailleurs en Allemagne. Chaque fois, police et médias ont commencé par étouffer l'information. Cacher l'offense pour ne pas être taxés de racisme? Dénoncer un «choc des cultures» et un islam forcément sexiste, dans le climat explosif des vagues de migrants et de poussées des communautarismes? Le malaise est palpable, les amalgames, nombreux.

    * Et le silence, impardonnable. Il faut reconnaître dans ces attaques ciblant les femmes «un signe avant-coureur de la montée intégriste», affirme la sociologue algérienne Marieme Helie Lucas, fondatrice en 2005 du réseau international Secularism is a women's issue ("La laïcité, ça concerne les femmes", SIAWI). Avant de dénoncer la «lâcheté politique de ceux qui regardent cette ascension» sans réagir.

    Que vous inspirent les agressions sexuelles du 31 décembre et la réaction des autorités allemandes ?

    * Elles ont eu lieu dans une dizaine de villes, dans cinq pays en même temps, ce qui suggère une forme de coordination. Les féministes ont dénoncé leur occultation délibérée par les gouvernements européens - et les médias. La gauche a dénoncé l'utilisation de ces événements par l'extrême droite xénophobe raciste, qui s'en prend à tout "étranger" : migrant, immigré, demandeur d'asile, et jusqu'au citoyen dont l'origine étrangère remonte à plusieurs générations. Je rejoins ces protestations, mais un élément manque cruellement : la dénonciation de l'intégrisme musulman en tant que nouvelle force d'extrême droite.

    * Un problème majeur réside dans l'incapacité mortifère de la gauche européenne à soutenir les droits des femmes contre toute agression, quel que soit l'agresseur, à s'opposer aux attaques racistes de l'extrême droite traditionnelle, et simultanément à dénoncer l'extrême droite intégriste. Ceci découle de l'inaptitude de la gauche à reformuler la théorie de l'"ennemi principal" – l'impérialisme américain ; reformulation pourtant ­nécessaire devant le risque d'être débordé par l'"ennemi secondaire" – l'intégrisme armé. Il en résulte une scandaleuse hiérarchie des droits, où ceux des femmes sont placés au bas de l'échelle, après les droits des minorités, les droits religieux ou culturels.

    On sent un réel sentiment d'urgence dans vos propos...

    * Oui ! Il est urgent que la gauche nous entende enfin, avant qu'en Europe l'affrontement entre extrême droite xénophobe et extrême droite intégriste musulmane ne devienne ingérable, et que, dans nos pays, la résistance à l'intégrisme ne soit totalement éteinte dans le sang. Nous voyons en Europe les signes précurseurs de la montée de l'extrême droite intégriste, que nous avons déjà vécue dans nos pays.

    * Depuis les années 1990, quand les groupes intégristes armés ont occupé des territoires en Algérie et y ont imposé leurs lois, les féministes algériennes n'ont cessé d'informer la gauche européenne, ses médias et les organisations internationales de droits humains, notamment des crimes contre les femmes. Sans obtenir leur soutien. Tout ce que la presse feint de découvrir au Moyen-Orient aujourd'hui a été testé dans le laboratoire intégriste algérien : les femmes y ont été kidnappées, réduites en esclavage domestique et sexuel, engrossées de force pour produire de «bons musulmans» ; les récalcitrantes ont été brûlées vives, torturées, mutilées, décapitées, leurs têtes promenées en parade en public.

    * La liste des victimes montre un pourcentage énorme de femmes tuées, et certaines professions féminines ont été spécialement ciblées (coiffeuses, esthéticiennes). Le lien doit être fait entre les attaques contre les femmes en Algérie, en Tunisie, en Egypte, au Mali et celles qui viennent de se passer en Europe. Même si l'ampleur des événements n'est en rien comparable, il faut y reconnaître un signe avant-coureur de la montée intégriste.

    Par peur d'être taxés d'islamophobie, les dirigeants européens sont-ils, selon vous, en train d'abdiquer le principe d'égalité entre hommes et femmes ?

    * Partout, des gouvernements sont prêts à vendre les droits des femmes pour obtenir la paix sociale avec les forces réactionnaires qui les mettent en question. Il suffit de voir le temps qu'a mis la France, pour ménager la droite chrétienne, à changer sa loi nataliste de 1920 [réprimant l'incitation à l'avortement et aux pratiques contraceptives, NDLR] et à accepter les droits reproductifs [libre choix de la contraception, de la sexualité, du mariage... NDLR].

    * Aujourd'hui, les intégristes ont presque réussi à faire accepter l'idée que l'islam, c'est eux, qu'ils en sont les seuls légitimes représentants et que quiconque s'oppose à leurs élucubrations supposément religieuses s'attaque donc à l'islam même. Le terme «islamophobie» illustre leur stratégie : osez me contredire et je vous accuse de haïr l'islam. Ils ont aussi réussi à imposer le mot "charia" (au sens de "la loi islamique" au singulier), alors qu'il existe des centaines de lois différentes, voire contradictoires. L'adoption irréfléchie des concepts forgés par les intégristes pour propager leur doctrine en Europe est fort inquiétante.

    * Au nom de l'anti-impérialisme et de l'antiracisme, la gauche européenne abandonne les anti-intégristes des pays musulmans, ainsi que ceux issus de l'immigration en Europe. Or, nous avons besoin de la gauche pour empêcher la récupération de nos protestations par l'extrême droite xénophobe, qui rêve de transformer notre dénonciation de l'intégrisme en une attaque contre l'islam, entraînant de possibles pogroms contre les présumés musulmans.

    Certains musulmans assimilent toute féminité libre à une forme de prostitution. On est bien loin du président Nasser, dans les années 1950, moquant publiquement les Frères musulmans qui voulaient imposer le voile aux femmes égyptiennes...

    * Ce n'est donc pas l'islam qui est en cause – Nasser était un bon musulman, et un laïque au moment de sa montée au pouvoir –, mais une force politique d'extrême droite, camouflée en mouvement religieux. D'autres extrêmes droites ont aussi prôné le contrôle des femmes et de leur sexualité, voire leur instrumentalisation politique. Je pense aux politiques restrictives sur la contraception de la droite catholique dans l'Espagne franquiste ou à la demande de «surproduction» faite aux femmes par l'Allemagne nazie ou l'Italie mussolinienne.

    * L'armée des intégristes orthodoxes serbes a pratiqué le même programme d'engrossement systématique des femmes bosniaques que les soldats de Daech sur les femmes yazidies, ou ceux du GIA sur les Algériennes.

    * Le contrôle de la sexualité des femmes (et la sanction draconienne des récalcitrantes) est un indicateur fiable de la nature d'extrême droite de mouvements politiques. Leur montée au pouvoir s'explique en partie par la lâcheté politique de ceux qui regardent cette ascension, en espérant qu'ils n'en seront pas eux-mêmes affectés.

    Dans les régimes musulmans, c'est le pouvoir lui-même qui entérine l'infériorité des femmes...

    * Oui, et dans d'autres, elles ont beaucoup de droits ! Il règne dans le monde musulman une diversité infinie de lois, toutes supposées en conformité avec l'islam. Ici, les femmes peuvent devenir chef d'Etat, juge, chauffeur de taxi, ont des droits égaux à ceux des hommes dans le mariage [le premier ministre du Bangladesh est ainsi une femme, Sheikh Hasina, NDLR]. Là, elles sont entièrement soumises, mariées de force dès l'enfance [comme en Arabie saoudite, NDLR]. Cela rend évident que les lois dites musulmanes sont bien faites par des hommes, les pouvoirs politiques réactionnaires utilisant la légitimation religieuse pour servir leurs intérêts.

    Peut-on parler à Cologne d'un "choc des cultures", avec tous les risques de récupération politique que cela implique ?

    * Dans nos pays, les intégristes baptisent kofr ("mécréant") tout citoyen – croyant musulman, laïque ou athée – qui refuse l'enfermement et l'asservissement des femmes, la mise à mort des incroyants, l'Etat théocratique. Ils estiment avoir le droit et le devoir de les exterminer physiquement – exactement comme la notion d'untermensch ("sous-homme") a permis aux nazis de justifier l'extermination des Juifs, des communistes, des gays, des Roms ou des déficients mentaux.

    * Ali Belhadj, vice-président du Front islamique du salut en Algérie, annonçait avant les élections de 1992 que, si le FIS les remportait, il ne s'en tiendrait plus d'autres et affirmait : "Quand on a la loi de Dieu, pourquoi aurait-on besoin des lois des hommes ? Il faut tuer tous ces mécréants." Démocrates, tenez-vous-le pour dit : vous êtes des mécréants opposés à la loi de Dieu, vous méritez la mort.

    * Le concept de choc des cultures entre Islam et Occident est peu scientifique : il n'existe pas une culture musulmane unique, commune à plusieurs continents, à des pays aux niveaux de développement économique, social, culturel, complètement différents... Cette homogénéisation sous la bannière de "leur" islam est bien le programme des intégristes, mais fort heureusement ils sont encore loin de l'avoir imposé partout. Je parlerais plutôt d'un choc entre fascistes et antifascistes.

    * En Europe ou dans les pays dits musulmans, des féministes et des forces de progrès défendent les droits des femmes et s'opposent au projet théocratique des intégristes. En Algérie, la quotidienne résistance populaire aux intégristes armés – les femmes en première ligne – a empêché, au prix de centaines de milliers de victimes pendant la décennie 1990, l'accession au pouvoir du FIS et du GIA.

    * Je connais partout des organisations de femmes qui luttent pour leurs droits contre les intégristes musulmans, qui veulent des états laïques quelle que soit leur foi personnelle : du Pakistan à l'Algérie, de l'Afghanistan au Mali, du Soudan à l'Iran, de la Bosnie à l'Ouzbékistan.

    * En Europe et en Amérique du Nord, ce sont des femmes dont les familles sont originaires de pays dits musulmans qui sont à la tête de la plupart des organisations féministes laïques. Elles ont de bonnes raisons pour défendre la laïcité, car elles – ou leur famille proche – ont souvent une expérience de première main de ce que signifie vivre sous la botte intégriste. Toutes ces féministes, ces progressistes méritent d'être soutenues par leurs homologues en Europe. C'est cette alliance-là qu'il faut réaliser.

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