Source : http://robertempain.blogspot.com/2010/02/ouvrir-le-noyau-interieur-entretien.html
Entretien avec Annick de Souzenelle
Propos recueillis par Claudine Della Libera
pour la revue en ligne Nouvelles Clés.
* A la lumière de son cheminement intérieur, Annick de Souzenelle nous invite à la redécouverte de notre nature divine. C’est avec un regard neuf qu’elle scrute les textes bibliques et l’alphabet hébraïque et nous livre les secrets de notre devenir.
* Par-delà son affiliation au christianisme orthodoxe, elle est aussi une femme de son temps, cultivant amour de la tradition et art du psychothérapeute - l’apport de la psychanalyse est pour elle indéniable.
* Son enseignement véhicule un souffle régénérateur puissant et constitue une formidable dynamique pour nous aider à comprendre et à grandir dans l’émerveillement de la tâche à accomplir.
* Nouvelles Clés : L’homme aujourd’hui, quel est-il ? Quelle étape vit-il
* Annick de Souzenelle : L’homme patauge encore dans le psychique. Il est l’Homme du Sixième jour de la Genèse, un homme en gestation qui n’a pas laissé germer la conscience en lui, mais qui est à la veille de le faire. Face aux problèmes qui le menacent, il ne peut rester dans une logique "animale" ; il lui faudra accéder à la conscience pour sortir du labyrinthe qu’il s’est créé. Il faudrait être aveugle pour ne pas voir que cela est déjà en marche. Nous vivons cette percée du nouvel homme qui cesse d’être un "forgeron de l’extérieur" pour œuvrer dans la forge intérieure.
* N.C. : On ne peut évoquer le monde contemporain sans évoquer le danger nucléaire, les pollutions diverses et la violence qui prend de multiples formes partout sur la planète. L’homme ne sera-t-il pas assez fou pour se détruire lui-même ?
* A. de S. : L’homme d’aujourd’hui est encore sous l’emprise des passions psychiques. Il a banalisé et normalisé l’état de chute ; il accomplit à l’extérieur ce qu’il n’accomplit pas dans son cosmos intérieur et se trouve dépourvu devant les forces ainsi libérées, telle la force nucléaire. Il ne peut dominer une vie qui lui échappe ; d’où les peurs qui l’habitent, génératrices de guerres et de violences. Ce n’est qu’au prix de ce retournement de l’extérieur vers l’intérieur, à la lumière d’une urgente prise de conscience que l’homme ouvrira son noyau intérieur et accomplira le Dieu qui est en lui.
* N.C. : Et si le retournement ne se faisait pas ?
* A. de S. : Je ne peux y croire. Dans les textes, l’homme est déjà sauvé, accompli dans sa dignité. La résurrection du Christ, c’est celle de chacun d’entre nous au terme de son accomplissement. C’est dans notre inconscience que nous ne sommes pas ressuscités.
* N.C. : Pourquoi avoir choisi la tradition judéo-chrétienne pour comprendre l’aventure humaine ?
* A. de S. : D'abord parce qu’elle constitue notre racine culturelle. Comme beaucoup d’autres, j’ai eu à un moment de ma vie le besoin d’aller vers l’Inde et des religions orientales. Ma rencontre avec l’Église orthodoxe de France a décidé de mon retour à l’Évangile et aux textes bibliques ; leur richesse est immense. Après 30 ans d’expérience dans cette tradition, je suis de plus en plus dans l’émerveillement. Et c’est dans l’émerveillement que je découvre l’histoire d’Adam, celle du peuple hébreu et celle des femmes de la Bible, comme étant ma propre histoire, la vôtre, celle de l’humanité tout entière. Quant à la langue hébraïque, je la découvre aussi sous-tendue par le verbe divin lui-même !
* N.C. : La tradition serait alors bien vivante et nous parlerait à différents niveaux accessibles en fonction de notre propre niveau de conscience ?
* A. de S. : Cette communication avec elle est aussi forte que l’est notre désir ; avec elle nous cheminons dès lors que notre coeur s’est ouvert, jusqu’à la mort et la résurrection du "fils" en nous.
* N.C. : Ce "fils", quel est-il ?
* A. de S. : En hébreu, le mot "fils", "Bar", désigne aussi "le grain de blé" : une seule loi recouvre la vie de ces deux êtres : le grain de blé doit mourir dans la terre extérieure pour croître et donner un nouvel épi. Le "fils", ce grain d’incréé en nous, nous oblige à mourir dans nos terres intérieures pour donner le fruit de l’Arbre de la connaissance : "si le grain ne meurt...", dit le Christ. Et Lui, fils de l’Homme total (l’humanité) meurt et ressuscite pour qu’il donne son fruit !
* N.C. : Votre tâche en tant que "transmetteur" du message biblique quel "effort" constitue-t-elle ?
* A. de S. : Quand l’homme recherche Dieu, il n’y a pas d’effort. C’est un travail amoureux et partager ce que l’on vit est une joie. Mon travail sur la Genèse n’est qu’un marche-pied qui un jour sera dépassé dans une plus grande conscience des textes. Ceux-ci sont une colonne vertébrale vivante. Ils nourrissent et contri- buent à la verticalisation de l’homme.
* N.C. : En tant que femme comment vivez-vous le péché dont Eve s’est rendue coupable et qui fût, nous ne pouvons le nier, le début d’un net ostracisme pour la femme ?
* A. de S. : Cette Ève qu’on a dit saisie par le serpent n’est pas la femme ; elle est le premier féminin de la Bible, Isha, côté ombre qu’Adam a reçu l’ordre de garder et de cultiver ; notre inconscient, en fait. C’est lui qui, chaque jour encore est saisi par le serpent avant même que nous le sachions, et souvent sans que nous ne le sachions jamais ! Adam chassé de son Eden intérieur et retourne vers l'extérieur ne connaît plus que la femme biologique appelée Ève. Le mariage entre l’homme et la femme est une vie d’accomplissement renvoyant à la nécessité du mariage intérieur de chacun. La vie monacale est une autre voie, mais le rejet de la femme dans un certain type de monachisme me semble une déviance. En tout état de cause, il ne peut exclure le féminin intérieur hors duquel il n’y a pas de salut.
* N.C. : L’image de la femme stérile revient souvent dans la Bible, que signifie-t-elle ?
* A. de S. : La stérilité qui affecte dans un premier temps la plupart des femmes de la Bible, c’est la stérilité intérieure. Pour les hébreux, faire le fils, c’est faire le fils intérieur. Dans le mot hébreu qui signifie "stérile", on retrouve la notion d’"essentiel". Cette stérilité est là pour faire prendre conscience que la vraie fécondité n’est pas dans l’enfant extérieur. Le drame de l’humanité, c’est de se satisfaire de ses fils biologiques.
* N.C. : Mais toutes les instances sociales et religieuses n’ont-elles pas prôné que le but de la vie est dans la procréation et le mariage ?
* A. de S. : Ces données ont des conséquences dramatiques et ont fait oublier à l’homme ce qu’est authentiquement l’être "religieux" : celui qui se relie au fils intérieur. Là est la vraie maternité. Le monde des serviteurs et des esclaves dans la Bible est fécond tout de suite, car biologiquement fécond, comme tout animal.
* N.C. : Il est dit aussi dans la Bible que "la femme stérile est belle", ce qui peut surprendre...
* A.de S. : La femme stérile, c’est l’humanité, l’Homme du 6e jour que nous sommes. L’Homme du 6e jour est analogue à l’arbre qui est encore sous terre. Il prend le "sous terre" pour la lumière. Sa vocation à ce moment-là est de planter ses racines. Il ne peut à ce stade porter son fruit. Mais cette étape de sa stérilité est essentielle. C’est le travail de germination des profondeurs. Il y a donc une nécessité de la stérilité pour atteindre à la beauté qui naît de la transformation intérieure. En ce sens, ces femmes stériles, appelées à être rendues fécondes par le souffle divin, sont belles. La beauté, l’harmonie du monde dépend de ces épousailles avec le féminin.
* N.C. : Et le masculin dans tout cela ?
* A. de S. : Il est indispensable ; il n’y aura pas d’enfantement sans lui. Être mâle, pour l’homme comme pour la femme, c’est être celui qui se souvient de son inaccompli, c’est donc être conscient de sa faiblesse ! Il doit se souvenir de cette réalité intérieure qui est à la fois son futur et son passé : la Adamah, la mère intérieure qui est là avant Adam et qui recèle le noyau de son être. C’est cette mère que nous avons à épouser pour devenir l’homme accompli. Tous les mythes le disent.
* N.C. : Cela crée-t-il pour l’homme une nouvelle exigence ?
* A. de S. : Une nouvelle exigence se fait jour, comme lorsqu’on travaille sur les textes hébraïques. A force de les scruter, si nous parvenons à un autre niveau de lecture - les hébreux disent que la Thora peut se lire sur 70 niveaux de lecture - le texte nous oblige à vivre ce qu’il révèle, sinon il se ferme. Lorsqu’il s’ouvre, on acquiert une nouvelle intelligence du cœur, et celle-ci exige de nous toujours plus.
* N. C. : Il s’agit de ce que vous nommez "noces" ou "épousailles" et dont la connotation est à la fois amoureuse et charnelle...
* A. de S. : Oui, mais il existe deux modes d’épousailles. L’un qui concerne les noces de l’homme avec lui-même (mâle et femelle au niveau essentiel dont nous venons de parler) ; l’autre qui concerne les noces de l’homme et de Dieu : au fur et à mesure que l’homme s’accomplit dans ses premières noces, il se construit en tant qu’"épouse" de Dieu, pour atteindre aux deuxièmes noces. L’Adam est féminin par rapport à Dieu, mâle par rapport à son féminin intérieur, "Ish" (époux) par rapport à "Ishah" (épouse), mais il est aussi "Ishah" par rapport à Dieu, époux-archétype. Les épousailles sont donc à deux niveaux et interfèrent dans un embrassement admirable. Mais c’est en ce sens qu’on ose dire qu’Adam est le "côté ombre" de Dieu, le féminin de Dieu. Cette double rencontre ne peut se faire que dans l’acceptation et l’amour et dans notre dimension chamelle. Les cieux, c’est ici et maintenant, et cela passe par la réalité la plus concrète. Les noces avec le divin se vivent dans chacune de nos cellules. Dans cette perspective, il faut aussi reconsidérer le rapport homme-femme.
* N.C. : Justement ce rapport nouveau entre homme et femme quel est-il ? Quelle mutation sera nécessaire ?
* A. de S. : Beaucoup de femmes aujourd’hui vivent les prémices de cette mutation intérieure et ont reconnu cette dualité intérieure qui porte en elle-même la dynamique de l’accomplissement. Elles se sont éveillées plus vite que les hommes. Beaucoup d’entre elles souffrent de ce que leurs compagnons de vie ne les suivent pas dans l’éclosion de leur nouvelle conscience. C’est un passage douloureux qu’elles auront à assumer, souvent au prix d’une grande solitude. C’est en ce sens que réside en elles le salut du monde.
* N.C. : Comment expliquer ce temps d’avance de la femme sur l’homme aujourd’hui ?
* A. de S. : Les deux dimensions : biologique et ontologique, ne sont pas séparées, et la femme comme nous l’avons déjà dit est davantage portée vers le sacré et beaucoup plus sensible à la réalité du mystère qui est en elle. Chaque femme qui porte un enfant vit en résonance avec ce mystère. Elle vit d’une façon naturelle une fonction "sacerdotale" qui dépasse infiniment sa réalité biologique. Avant l’homme, elle semble avoir trouvé son côté mâle, celui qui "se souvient".
* N.C. : Qui dit s’éveiller dit aussi souffrir, rencontrer le mal ?
* A. de S. : Avoir le désir du face à face avec le divin, c’est accepter d’être confronté aux "animaux" qui nous habitent et qui, doués d’une vie autonome, nous dévorent. Là est le mal constitué par "la chute" dont nous reconduisons chaque jour le drame, ce qui nous amène à reconduire du même coup la souffrance. Nous générons alors des événements qui en sont la conséquence directe, non punition